La halte du père Noel

Pour un Québécois, il faut que Noël soit blanc ! C’est-à-dire que, le 25 décembre, il faut que la neige ait déjà recouvert villes et campagnes sinon ce n’est pas un vrai Noël. Il va sans dire que les sapins, les guirlandes, les lumières sont omniprésents durant la période des fêtes. Il n’y a pas si longtemps, Noël était surtout une célébration religieuse et l’on festoyait en famille après la messe de minuit. Aujourd’hui le petit Jésus de la crèche n’en mène pas large. Le Père Noël occupe beaucoup de place dans l’imagerie, sa silhouette se retrouve partout et la folie de la consommation a gagné toute l’Amérique.

Mais on s’arrête parfois pour rêver, comme ce Père Noël qui fait une halte méritée dans la forêt québécoise.

Il fait nuit à Plumebois. Tous les animaux sont éveillés. Qui a envie de dormir la nuit de Noël ? Surtout à Plumebois où tous les habitants savent très bien qu’après minuit le Père Noël s’arrêtera chez eux.

Comment ? Tu ne le sais pas ? Bien sûr que non, j’oubliais. Puisque c’est un secret. Seuls les habitants de Plumebois le savent. Au village, à Plumetis, personne ne le sait.

Tous les ans, après sa tournée, le Père Noël vient se reposer à Plumebois.

Cette nuit, le ciel est clair et tout semé d’étoiles. La neige est fraîchement tombée de ce matin. Dans le chêne, on fait des paris.

– Je parie six noisettes que je le verrai le premier, dit l’écureuil roux.

– Et moi, je parie deux vers que je l’entendrai le premier, dit la mésange.

– Urk, merci pour tes vers, reprend l’écureuil dégoûté.

– Ne faites pas tant de bruit, espèces de bavards, leur dit la chouette.

« Que c’est long d’attendre ! » pensent les lièvres.

Les lièvres pourtant ne savent pas très bien ce qu’ils attendent. L’an dernier, à la même date, ils n’étaient même pas nés.

– Soyez patients, leur dit leur maman.

Les perdrix sautillent, courent, s’agitent.

Que c’est long, que c’est long !

Pendant ce temps, à l’orée du bois, le cerf fait le guet.

Le coucou, perché sur la tête du cerf, transmet les messages aux autres.

– Ne vois-tu donc rien encore ? demande le coucou.

– Non. Et toi, n’entends-tu rien encore ? demande le cerf.

– Rien, répond le coucou.

Autour du chêne, les écureuil entassent des branches de sapins.

Le raton laveur court au ruisseau. Il cassa la glace. Il remplit d’eau un cornet en écorce qu’a fabriqué le renard. Les lièvres n’en peuvent plus d’attendre. Ils sont si fatigués d’avoir gambadé dans la neige tout le jour.

– Si nous faisions une petite sieste, en attendant, propose le plus grand.

– La bonne idée, décident les trois frères.

Et chacun se fait un petit trou sous la neige et s’endort.
Les écureuils n’arrêtent pas d’aller et venir dans les branches. L’écureuil roux a sûrement oublié son pari. Le voici, le nez dans la neige, qui gratte le sol pour retrouver ses noisettes. À ce moment, la mésange arrive à tire-d’aile.

– J’entends la clochette, j’entends la clochette, crie-t-elle haletante.

Le coucou, distrait, n’a rien vu. La mésange, elle, a gagné son pari.

Le coucou s’envole très haut au-dessus des arbres. Il redescend très vite :

– Oui ! c’est lui, dit-il au cerf. Je l’ai vu.

Le coucou part vite avertir les animaux. Mais tout le monde sait déjà la nouvelle. Et tous les habitants attendent le cœur battant. C’est le Père Noël !

Le cerf, à l’orée du bois, ne voit toujours rien. Il tremble un peu, tout seul dans le noir. Il entend le bruit doux de quelque chose qui glisse sur la neige, et le faible tintement d’une clochette.

Le son de la clochette se rapproche. Mais on ne voit toujours rien dans le noir. Le cœur du cerf bat très fort. Tout à coup, voici qu’il voit avancer vers lui dans la nuit un drôle de cerf. Un cerf plus grand que lui, avec un panache étonnant dont il n’a jamais vu le pareil.

Le cerf en reste bouche bée.

– Qui est-ce ?

Lui qui devait accueillir le Père Noël, il est si surpris qu’il ne peut dire un mot. Heureusement que le coucou, voyant la mine étonnée du cerf, vient lui dire à l’oreille :

– C’est le caribou du Père Noël.

– Ah ! le caribou… et le cerf ouvre grand ses yeux.

Derrière le caribou vient le traîneau blanc. Dedans, le Père Noël est endormi. Il n’a pas besoin de tenir les rênes. Le caribou sait le chemin par cœur. Le gros sac dans la traîneau est tout aplati. Tous les cadeaux sont distribués, à Plumetis comme ailleurs. Arrivé près du chêne, le traîneau s’arrête.

Et le Père Noël s’éveille.

– Bonsoir, dit-il à tous, de sa bonne voix.

– Bonsoir, Père Noël, disent ensemble tous les animaux éblouis.

– Vite, vite les lièvres, réveillez-vous. Le Père Noël est là , crie la chouette.

Le Père Noël descend du traîneau. Il retire ses bottes brillantes, sa tuque* et ses mitaines.

– Comme vous êtes gentils de m’avoir fait un bon lit, dit-il.

Les perdrix apportent un oreiller de mousse et de plumes qu’elles ont confectionné en secret.

– Je vais bien me reposer, dit le Père Noël. Mais avant, dit-il, je vais fumer une bonne pipe.

Ce disant, le Père Noël sort de sa poche un petit bâton blanc et une jolie pipe brune qu’il met dans sa bouche. Les petits lièvres qui sont toujours en retard arrivent en se frottant les yeux.

– C’est lui le Père Noël ? demandent-ils.

– Chut,chut, disent les écureuils.

Le Père Noël frotte le petit bâton sur le patin du traîneau et une flamme jaillit. Il allume sa pipe : une fumée bleue monte dans le ciel au-dessus de Plumebois. Mmmm ! comme ça sent bon !

– Ah ! qu’il fait bon à Plumebois, dit le Père Noël.

Raton laveur lui porte son cornet plein d’eau fraîche.
Le Père Noël le boit tout d’un trait.

– Merci, dit le Père Noël.

Tout en fumant sa pipe, Père Noël parle à chacun, fait la connaissance des nouveaux et raconte, comme chaque Noël, son voyage.

– Maintenant, voici mon cadeau à vous, habitants de Plumebois, dit le Père Noël.

Les animaux se rapprochent et écarquillent leurs yeux. Ils voient le Père Noël sortir de sa poche une ficelle et s’en va jusqu’au sapin vert. Là, il attache un des bouts à une branche et garnit tout le sapin. Les animaux se regardent, étonnés.

– Qu’est-ce que c’est ? demandent-ils tous à la fois.

– C’est un calendrier, explique le Père Noël. Un calendrier à manger.

Un calendrier … qu’on mange ? Lièvres, écureuils, oiseaux, raton laveur, renard ne comprennent rien du tout.

– Ces boules de ficelles sont des fruits secs et des noisettes.

Vous les aimez bien, n ‘est-ce pas ? dit le Père Noël.

– Oui, oui, répondent ensemble les habitants de Plumebois.

– Eh bien ! À partir de demain, allez au sapin et mangez un fruit de la guirlande. Mais n’en mangez qu’un seul par jour. Puis, quand il n’en restera plus, cela voudra dire que je reviendrai cette nuit-là chez vous, à Plumebois.

Les animaux de Plumebois sont en admiration devant le sapin-calendrier :

– Nous avons un calendrier, nous avons un calendrier ! se mettent-ils à chanter.

Et pensez donc s’il est heureux ce sapin. C’est le Père Noël lui-même qui l’a décoré !

– Combien y a-t-il de fruits ? demande le renard.

– Je vais les compter, propose un écureuil. Mais il y en a trop.

Le Père Noël, amusé, leur dit :

– Il y en a 364.

– Ah ! font ensemble les animaux émerveillés.

– Maintenant, je vais me reposer un peu, dit le Père Noël en se couchant sur le lit de branches. Mais veillez bien pendant que je dors : gardez bien votre secret. Il faut que personne ne me voie, sinon je ne pourrai plus faire halte à Plumebois. Aussitôt lièvres, écureuils, mésanges, coucous se postent aux quatre coins de Plumebois comme sentinelles.

Autour de Plumebois, on ne voit que les prés qui dorment sous la neige. Il y a aussi quelques chemins creux qui traversent les prés ou longent les champs, puis qui mènent au village de Plumetis.

À Plumetis, les maisons sont serrées les unes contre les autres, comme pour se tenir bien au chaud ensemble. Cette nuit, après toutes les festivités de Noël, le village s’est endormi. Il reste bien une lumière ici et là mais tout dort. C’est justement ce moment qu’attendent les cheminées. Toutes les nuits d’hiver, quand tout est endormi, les cheminées se parlent. Alors, elles lancent leurs longs rubans dans le ciel. Elles font des courses, des guirlandes et s’amusent à courir entre les étoiles. Jamais elles ne font de telles choses le jour ! Cette nuit, elles ont attendu longtemps, longtemps que tout soit endormi.

– Enfin ! se disent-elles quand tout s’est tu à Plumetis.

Chacune, en déroulant ses rubans de fumée, raconte le Noël de sa maison.

– On a grillé des guimauves chez moi.

– Chez moi, les enfants ont trouvé un petit chat dans leurs chaussons !

– Chez nous, les enfants ont reçu une grande traîne* sauvage du Père Noël.

– Chez moi, le papa est malade. Les enfants lui ont chanté de jolies chansons, tout doucement, pour l’égayer.

Les cheminées se connaissent toutes. Elles sont à Plumetis depuis très longtemps, et tous les soirs d’automne et d’hiver elles bavardent. Mais ce soir de Noël une surprise les attend. Là-bas, au-dessus de Plumebois, s’élève une mince fumée bleue qu’elles n’ont jamais vue avant.

– Qui est-ce donc ?

– Y aurait-il une cheminée à Plumebois ?

– Depuis quand ?

– D’où sort-elle ?

– Allons voir !

Et les cheminées qui, en plus d’être bavardes, sont très, très curieuses, étirent leurs fumées bleues, blanches, grises. Excitées par l’idée de découvrir peut-être un secret à Plumebois, elles s’étirent, s’étirent, mais n’arrivent pas à rattraper la fine fumée bleue.

– Aidez-nous, les étoiles ! demandent-elles.

Mais les étoiles ne savent pas comment.

– Aidez-nous, monsieur le vent ! demandent-elles.

Monsieur le vent veut bien, pour cette nuit, leur donner une petite poussée. Mais ce n’est pas assez, et déjà la fine fumée bleue de Plumebois a disparu. Les cheminées de Plumetis sont fort déçues. Toutefois, en plus d ‘être bavardes et curieuses, elles sont aussi très étourdies. Si bien qu’elles oublient vite leur tentative et reprennent leurs bavardages.

Ouf ! Le secret de Plumebois n’a pas été découvert. Les Lièvres qui, comme chacun sait, ne sont pas très patients, ont abandonné leur guet. Ils s’amusent avec raton laveur à essayer les grosses mitaines et la tuque* du Père Noël.

Les écureuils ont bien du mal à se retenir d’aller croquer des noisettes sur le sapin-calendrier.

Pendant que dort le Père Noël, son fidèle caribou se promène à travers les arbres comme il n’y en a pas dans son pays.

– Mon cousin, dit-il au cerf, viens me dire le nom de tes grands arbres.

Et Cerf lui présente les érables, les frênes, les chênes.

– Chez moi, je mange des lichens, dit le caribou, et toi ?

– Des lichens, qu’est-ce que c’est que ça ? demande le cerf.

La chouette, postée en haut du chêne fait soudain hou-hou-hou-hou. Attention, attention, voici quelqu’un !

Quel affolement ! Tous les animaux se précipitent vers le traîneau. Ils hissent le gros sac vide hors du traîneau et le tirent sur le Père Noël pour le cacher. Le caribou et le cerf oublient vite leur conversation et arrivent en courant. Un oiseau blanc vient se poser sans bruit sur le panache du caribou.

Aussitôt Caribou rassure tout le monde :

– C’est Bruant, dit-il.

Mais « Bruant », ça ne veut rien dire aux habitants de Plumebois.
Ce n’étaient pas des pas que la chouette avait entendus, mais le bruit de deux ailes dans la nuit.

– Comme tu nous as fait peur, Bruant ! dit Caribou.

Bruant, c’est un petit oiseau tout blanc : Bruant des neiges est son vrai nom. Bruant des neiges accompagne toujours le Père Noël dans ses voyages. C’est lui qui détermine les trajets et qui sait quel chemin éviter s’il y a une tempête, quelle forêt traverser …

Les animaux de Plumebois, revenus de leur frayeur, le saluent gentiment. Bruant avait quitté le Père Noël à l’orée de Plumebois, le sachant en sécurité, pour aller inspecter la route de la grande forêt.

– Il est l’heure de repartir, dit-il au Père Noël qui s’éveille.

Les petits lièvres sanglotent si fort qu’ils n’ont rien entendu.

– Père Noël ne viendra plus jamais, bou-hou, hou.

– Le secret est découvert, ou-ou.

– Oh ! ooohh.

Mais ils sèchent vite leurs larmes en voyant le Père Noël éclater de rire en les regardant. Si tu les voyais, toi aussi tu rirais !

L’un a la tuque* du Père Noël enfoncée sur les oreilles ; l’autre a mis les grosses mitaines dans ses pattes de derrière, et le troisième a sa longue écharpe enroulé autour du cou.

– Ne pleurez pas, petits lièvres. Bruant est mon ami. Il n’est pas un étranger.

– Ah ! soupirent les petits lièvres en remettant la tuque* , les mitaines et l’écharpe au Père Noël.

C’est donc l’heure du départ. Caribou reprend sa place devant le traîneau que le Père Noël attache solidement au harnais.

– Au revoir mon ami Cerf, dit le Caribou. À l’an prochain.

– À l’an prochain, répond Cerf, tout heureux de s’être fait un nouvel ami.

Père Noël, bien reposé et souriant, monte sur le traîneau blanc. Il salue tous les habitants de Plumebois et leur dit :

– Prenez bien soin de votre calendrier et surveillez les gourmands.

Tous promettent de respecter les règles et de ne manger qu’une « boule » par jour, même les gourmands.

– Bon voyage, disent tous les animaux.

Bruant ouvre la marche. La clochette tinte doucement tandis que le traîneau s’éloigne. Et le jour se lève sur Plumebois. La neige qui tombe recouvrira bientôt toutes les traces du traîneau. Tous les animaux soupirent de contentement.

Quelle belle nuit de Noël !

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